La rencontre, l’échange, l’expérience nourrissent la pratique artistique de Béatrice Bailet autour du carnaval. Le carnaval de Dunkerque a été son terrain de jeu pendant deux mois durant lesquels elle a pu faire la connaissance des gens qui participent et font le carnaval. À partir de ses rencontres, elle peut aujourd’hui formuler ce que le carnaval peut bien vouloir signifier. Et si ce sont les mots qui traduisent le mieux les événements, ce sera un jeu de mots croisés qui sera le sujet de son exposition. Contrairement aux jeux de société, les mots croisés sont un jeu solitaire autour duquel l’artiste nous convie en groupe.
Le rôle principal dans cette exposition est donné aux Dunkerquois les mieux informés sur ce fameux carnaval et qui sauront renseigner les autres visiteurs sur le lexique de celui-ci. Les mots croisés formulent d’une certaine manière une image de la fête dunkerquoise régie par des codes. Les règles du jeu sont données : jets de harengs et des homards, chansons carnavalesques, bandes, chapelles, chapeaux colorés, Jean Bart… Toutes les règles pour trouver son costume et sa place dans la bande ne laissent pas l’artiste indifférente.
Le carnaval revendique des libertés alors que d’autres codes existent si l’on désire y participer. Ce constat donne à l’artiste l’occasion d’expérimenter ceux-ci et de comprendre, telle une anthropologue, les mécanismes culturels et humains sous-jacents à cette fête qui fait parler d’elle bien au-delà de Dunkerque. Le point de départ de Béatrice Bailet est une vidéo AB ABC ABCD inspirée d’une émission télévisée programmée sur la chaîne AB1. L’émission consistait à aller à Hollywood pour essayer de s’y faire une place. Tentons notre chance à Dunkerque.
Par le passé, l’artiste a toujours eu son rôle à jouer dans les fêtes publiques, de Versailles à la Factory d’Andy Warhol. En Belgique, le carnaval a inspiré James Ensor. Entre l’inspiration et la participation, il est difficile de percevoir le rôle à jouer dans la manifestation. Les objets et les mots témoignent et si l’on veut bien poser des questions, on en apprendra un peu plus. Béatrice Bailet exprime par ses moyens et ce qu’elle a pu en capter les mécanismes d’une fête. Un certain nombre de réponses se trouvaient déjà dans les livres et les images collectionnés par l’artiste mais ils ne suffisaient plus à satisfaire sa curiosité. Elle cherche à capter une autre réalité dans laquelle avoir sa place.
Les accessoires pour faire la fête semblent dérisoires sortis de leur contexte. L’euphorie carnavalesque rapportée aux dimensions d’un jeu de mots croisés surdimensionné, aux chapeaux des carnavaleux déposés sur le côté et quelques costumes cousus sur une chaise révèlent la part énigmatique de cette fête dont les représentations paraîtront toujours minimes par rapport à l’expérience même du carnaval. Tout est une question de rôle à jouer dans un jeu où il n’y a d’autres vainqueurs que les participants.
Richard Neyroud
chargé des expositions au CRAC ALSACE, Centre rhénan d’art contemporain ALSACE